Comité “Ecole de la rue Tlemcen”

 
 

Témoignage de

Michel Gavériaux

ancien élève

de l’école de la rue Sorbier.



“Bonjour les enfants, je m’appelle Michel. « Il y a bien longtemps, il y a plus de soixante ans, j’étais un petit garçon qui a fréquenté cette école. C’est ici en 1937, j’avais sept ans, que j’ai appris à lire. J’avais une maîtresse qui s’appelait Madame RAVAUD, que je n’ai jamais oubliée. C’était donc avant la guerre, la terrible guerre qui a duré six ans. Mais avant, j’ai des souvenirs merveilleux dans cette école. Car figurez-vous, que dans notre 20ème arrondissement, c’était déjà un arrondissement qui accueillait, et depuis toujours, des immigrés ou des réfugiés. Le 20ème, c’était un ensemble de quartiers très populaires, d’ouvriers, d’artisans, de petits commerçants, de gens simples … Il y avait dans ma classe, parmi mes petits copains, des enfants qui étaient de toutes origines - Polonais, Italiens, Russes, Belge, Hongrois, etc… - et puis aussi des Espagnols qui s’étaient réfugiés en France, car il y avait une terrible guerre civile chez eux à ce moment-là.

Donc, c’est comme aujourd’hui dans cette classe, où je vois que vous êtes très mélangés, très divers dans vos origines. Je vois qu’il y a tout autant d’enfants noirs, blancs, des maghrébins, des enfants d’origine asiatique et autres. Je vous montre une photo, que je ferai circuler parmi vous, pour vous montrer mes petits copains d’alors. Cette photo a été prise par mon père en 1938, le 14 juillet, qui marquait la fin de l’année scolaire, donc le début des vacances d’été. C’était le jour de la distribution des prix. On était tous déguisés, comme vous le verrez, car on donnait un spectacle pour une petite fête dans l’école. On appelait ça une kermesse. Sur cette photo où il y a une quinzaine d’enfants, je peux vous dire qu’il y a mon copain ANDRIANOFF, qui était d’origine russe, TOMASINI Italien, SEGURRA Espagnol, et aussi Marcel ANGELMANN, Albert KAWKA, Léon WACHMAN, Polonais, et mon meilleur copain Alfred SZYPER, d’origine hongroise. Avec Alfred, qui était un très bon élève, c’était la bagarre pour les premières places. On s’était connu et on se suivait depuis l’école maternelle Gambetta. Cette année-là en 1938, on n’avait pu nous départager, et on nous avait attribué le Prix d’Excellence ex aequo. Mais si nous étions rivaux dans nos études, cela ne nous empêchait pas de nous retrouver à la récré, ou dans la rue à la sortie de l’école, pour jouer aux billes ou échanger des timbres. Nous étions comme tous les enfants de cet âge, et nous étions heureux - oui heureux, je peux le dire. Ces années-là avant guerre, passées à l’école SORBIER, sont mes plusbeaux souvenirs.

Mais la guerre est arrivée. Et comme vous le savez, la France a été vaincue par les Allemands, qui ont occupé notre pays pendant quatre ans. De 1940 à 1944, l’année du débarquement des Alliés et de la Libération de la France.

Ces quatre années d’occupation par les troupes allemandes d’HITLER, qui avaient envahi la presque totalité de l’Europe furent très dures. On les a appelées les années noires. Mes ces années noires ont été plus terribles pour ceux qui étaient d’origine juive, comme mes petits copains SZYPER et ANGELMANN. Car HITLER et ceux qui l’entouraient et gouvernaient alors la France, ont décidé un jour d’arrêter et de déporter tous les Juifs. Et c’est comme ça, qu’en 1942, le 16 juillet, un jour d’été où il faisait très beau et chaud, je suis sorti dans la rue où j’habitais, vers huit heures et demi le matin, et je me suis vite rendu compte qu’il y avait une animation anormale. On voyait des escouades d’agents de police et des inspecteurs qui entraient dans les maisons et qui ressortaient un quart d’heure/vingt minutes plus tard, avec des familles juives avec leurs enfants, qui avaient quelques bagages, et qui les accompagnaient jusqu’à l’avenue Gambetta, où stationnaient des autobus en file l’un derrière l’autre, le long du square où j’avais l’habitude de jouer avec mes copains. J’ai vu ainsi partir mes copains Alfred et Marcel, qui habitaient au 15 rue Désirée, à cinquante mètres de chez moi, avec un petit baluchon, encadrés par des agents. Ils étaient tout honteux, et n’osaient même pas me regarder. Ils suivaient leurs mères qui portaient dans leurs bras leurs petits frères. Je n’ai pas bien compris à l’époque ce qui s’était passé ce jour-là. Car bien sûr, j’avais entendu parler de camps de concentration, de camps de travail, …, mais ce que j’ai compris et découvert deux ans après, à la fin de la guerre, … excusez-moi les enfants, mais j’ai toujours autant d’émotion lorsque je dois l’évoquer … c’est que mes copains, mes bons copains d’école et de jeux dans la rue depuis toujours - et bien, ils avaient été arrêtés, séparés de leurs mamans, emmenés d’abord dans des camps en France pendant un mois, et puis dirigés par train en Pologne, après un voyage de trois jours enfermés dans des wagons à bestiaux, sans boire ni manger, pour arriver à ce terrible camp d’AUSCHWITZ.

AUSCHWITZ, qui était un camp d’extermination.

Oui, mes enfants, il n’est plus question de camp de travail, de camp de concentration, mais de camp d’extermination !!! C’est-à-dire un camp où l’on devait mourir. Et c’est le jour-même, ou le lendemain au plus tard, que tous ces enfants et leurs parents pour la plupart, étaient gazés et brûlés !! Il y a eu ainsi dans ce camp plus d’un million de juifs venus de tous les pays d’Europe qui ont été envoyés pour y être gazés et brûlés. J’ai été récemment à AUSCHWITZ, car j’ai voulu être un petit moment par la pensée et par le coeur, au plus près pour me rapprocher de mes petits copains. Je leur ai laissé un message sur le grand livre qui est destiné à cet usage là-bas … Eux qui sont morts à douze ans, et n’ont jamais eu de sépulture, c’est encore ici, dans leur école, que je retrouve le mieux leur mémoire et tous nos bons souvenirs. Pour finir, si j’ai un message à vous donner, c’est pour vous dire que nous sommes tous différents, c’est vrai ; mais aucun n’est meilleur ou supérieur à l’autre. Nous sommes faits pour vivre ensemble, pour nous entendre, pour nous aimer. Et lorsque enfants nous rions, nous jouons ensemble, nous ne savons pas ce que veut dire racisme, antisémitisme, haine de ceux qui ne sont pas comme nous, qui n’ont pas la même religion, ou qui ne mangent pas comme nous. N’oubliez pas, vos maîtres et vos maîtresses vous le rediront : il n’y a qu’une seule race d’Homme, aussi différents que nous soyons ».

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Se souvenir pour construire l’avenir

               Ils habitaient notre quartier…