Comité “Ecole de la rue Tlemcen”

 

Avant-propos


Notre témoignage collectif paraît au lendemain du 60ème anniversaire de la libération des camps, de ces camps d’où ne revint aucun des enfants dont les murs de nos écoles gardent désormais le nom.

Ce travail résulte d’une rencontre entre les jeunes et les professeurs du collège Françoise Dolto, versant Belleville et les survivants, anciens élèves de l’école de la rue Tlemcen, versant Ménilmontant. Comme si, d’une rive à l’autre du 20ème, leurs voix s’étaient réunies pour donner plus de force à leur travail commun de mémoire et d’histoire.

En 1997, pour la première fois depuis 1942, je reprends le chemin de mon ancienne école, rue de Tourtille, à la recherche du souvenir de mes camarades de classe, emportées par la déferlante de juillet 1942. J’y découvre les gamins d’aujourd’hui ; parmi eux, les « Serruriers magiques » petit groupe artistique à la recherche d’une « clé », celle qui leur ouvrirait les portes du monde dont ils rêvent… Puis c’est la rencontre avec le collège Françoise Dolto, où j’ai été élève en 1945, enfant cachée, sauvée, encore meurtrie. Rencontre émouvante, riche, comme le seront toutes celles qui vont se multiplier à l’initiative du Comité Tlemcen autour des témoins des « années noires ».

Avec son exposition « Ils habitaient notre quartier, les enfants juifs déportés de Belleville » le collège Françoise Dolto donne le coup d’envoi à une implication croissante, juvénile, diverse, des établissements scolaires du 20ème. La richesse des réalisations est telle que le Comité décide d’attendre le terme de son travail de mémoire et d’histoire pour en permettre la publication totale. Moisson magnifique, fruit d’un partenariat dynamique entre le Comité, les enseignants, les enfants, la Municipalité du 20ème et la Ville de Paris, moisson que nous avons voulu vous faire partager.

Jusque-là, comme une négation de fait, aucune trace, aucune empreinte ne rendait compte de l’ampleur du massacre. Une chape de silence, d’oubli, avait occulté l’extermination de ces enfants et de leurs familles. Ni les journées « Portes ouvertes » sur les ateliers d’artistes, ni les circuits touristiques « Connaissance » ou « Découverte » des quartiers, ne rappelaient leurs vies anéanties.

Désormais, des générations d’écoliers, des passants, des citoyens en route vers l’isoloir les jours d’élection, percevront tel un appel à la vigilance, l’écho de leurs voix.

A la faveur de ces rencontres, c’est aussi à une véritable recherche historique que se sont livrés les élèves du 20ème, menée en parallèle avec le questionnement établi au cours des témoignages. Nous avons voulu mettre à leur disposition les éléments d’une étude comparée de documents disponibles, et leur permettre une analyse objective rigoureuse, méthode propre à la démarche historique et seul recours demain lorsque les témoins d’aujourd’hui auront disparu.

Ils ont découvert l’existence de multiples archives : les fiches de recensement établies par famille, les « registres matricules » exhumés des écoles, que les historiens n’avaient pas encore explorés. Ils y ont retrouvé à la colonne « sortie », la trace ultime des élèves disparus. Puis les « registres de baraque » des camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers, minutieusement tenus, conservés aux archives départementales du Loiret, et où se lit la séparation des mères et des enfants. Enfin les fiches d’entrée à Drancy, dernière étape avant le départ pour Auschwitz, par les gares de Bobigny ou du Bourget, et la succession des prénoms et des noms dans les longues listes des « convois » publiées par Serge Klarsfeld dans son Mémorial. Ils ont appris à analyser, à comparer, à croiser, à confronter les témoignages oraux ou écrits et les divers documents. Une démarche qu’ils garderont dans leur vie de citoyen. Il leur a fallu chercher aussi à comprendre l’incompréhensible, comment se met en place, par un phénomène d’accoutumance, d’acceptation progressive, de banalisation, un comportement d’exclusion, de rejet, une politique d’extermination officielle qui met en oeuvre l’ensemble des rouages de l’Etat. Comprendre comment la « solution finale », avec la collaboration du régime de Vichy, s’est glissée dans les maillons d’une administration « ordinaire », grâce à des manipulations de langage, à un conditionnement insidieux des mentalités. Comprendre comment un homme « ordinaire » simple fonctionnaire, policier, gendarme, a pu devenir complice des bourreaux, par une obéissance docile, répétée, fragmentaire, aux ordres reçus, sans questionnement, sans prise de conscience, sans sentiment de culpabilité, alors que d’autres avaient fait le choix d’une désobéissance lucide. C’est sans doute le volet le plus difficile, le plus actuel. Nous savons bien que si la connaissance historique est un impératif majeur, sa seule perception aussi rigoureuse soit-elle, ne suffit pas à garantir l’avenir. Cette connaissance du passé nous impose, face à l’actualité, une vigilance constante pour décrypter d’autres formes de xénophobie, d’autres mécanismes d’exclusion, d’autres visages du racisme ou de l’antisémitisme. Nous refusons d’établir une hiérarchie indécente, une concurrence déplacée entre les ignominies de l’Histoire, passées ou présentes. Nous les combattons toutes. C’est pourquoi nous nous réjouissons quand s’exprime aujourd’hui le refus du silence, le refus de la passivité. Nous saluons ici, en ce début de l’année 2006, l’engagement des parents, des enseignants et des élus qui viennent rue Olivier Métra et dans plusieurs écoles du 20ème, de tisser une protection collective, autour d’enfants scolarisés et menacés d’expulsion. Comment oublier que sur les fiches de présence dans les camps du Loiret, lors de la rafle du 14 mai 1941, le « motif de l’internement » mentionné, officiel, légal, écrit et répété au nom de la Préfecture de Police, était : « En surnombre dans l’économie nationale » ? La recherche d’un « bouc émissaire », hier comme aujourd’hui, est souvent le prélude à des dérives dangereuses dont personne ne connaît l’aboutissement. Nous préférons quant à nous, applaudir au « parrainage civil » célébré à la Mairie du 20ème, parrainage hérité des principes de 1789, et qui veut assurer aide et protection aux enfants menacés comme ont su le faire hier d’autres résistants courageux. Alors, si nous pouvions, ensemble, être les « Serruriers magiques » dont rêvent nos gamins du 20ème, les artisans opiniâtres d’une société de tolérance, de solidarité, nous n’aurions pas trahi les enfants déportés, ceux qui « habitaient notre quartier ».


Pour le Comité Tlemcen,

Rachel Ségal-Jaeglé.

 
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Se souvenir pour construire l’avenir

               Ils habitaient notre quartier…